Cassation, chambre criminelle, 23/03/2023, n°22-83.069 / n°22-83.874
La Cour de cassation s'est prononcée le 23 mars dernier dans deux arrêts dans lesquels des preuves portant potentiellement atteinte à la vie privée des personnes avait été rapportées par des policiers dans le cadre de leur mission.
[ARTICLE] La Cour de cassation a rendu plusieurs décisions dans lesquelles s’opposent le droit à la preuve et le droit à la vie privée le 8 mars dernier en matière de droit du travail. Elle s’est également prononcée quelques jours plus tard en droit pénal.
Pendant longtemps, la jurisprudence a admis que la preuve, même déloyale, pouvait être recevable dans le procès pénal, alors pourtant qu’elle l’écartait dans le procès civil.
À ce jour, l’article 427 du Code de procédure pénale prévoit que :« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».
La preuve est donc libre. Nous pouvons cependant s’interroger sur le point de savoir si toutes les preuves sont recevables, quelle que soit la situation, notamment celle portant potentiellement atteinte à la vie privée.
Dans deux décisions du 23 mars 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce.
1. Vidéo effectuée par un policier lors d'un contrôle routier
Dans ce premier arrêt, un policier a été condamné par le tribunal correctionnel pour atteinte à l’intimité de la vie privée après avoir filmé sans son consentement un conducteur au volant de sa voiture lors d’un contrôle routier. Ce jugement a été confirmé en appel et un pourvoi en cassation a été formé par l'agent.
Il est rappelé que l’article 226-1 du code pénal incrimine le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, en enregistrant des paroles prononcées à titre confidentiel sans le consentement de leur auteur, ou en fixant sans son consentement l'image d'une personne se trouvant en un lieu privé. Il est toutefois prévu que si l'acte est accompli au vu et au su de la personne intéressée, son consentement est présumé si elle ne s'y est pas opposée, alors qu'elle était en mesure de le faire.
En outre, la loi prévoit que tout jugement doit constater l’existence des éléments constitutifs de l’infraction et des circonstances aggravantes.
La Cour d’appel, relève que la fixation des images a été accomplie dans l’habitacle de son véhicule, lieu privé, au vu et au su de l’intéressé, sans qu’il ne soit établi qu’il s’y est opposé. Elle considère que l’intéressé était dans l’impossibilité de s’opposer à la captation d’image et écarte la présomption de consentement dans le cas d’espèce.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel sur ce point et précise que le fait d’écarter la présomption de consentement ne permet pas de prouver le défaut de consentement du conducteur à être filmé, élément constitutif de l’infraction.
La Cour de cassation ajoute qu’il appartenait à la cour d'appel de rechercher les éléments prouvant que le conducteur était opposé à être filmé, la charge de cette preuve ne pesant pas sur le prévenu, mais sur le ministère public.
2. Photographies et accès aux données de géolocalisation téléphoniques pendant l'enquête policière
Une enquête a été diligentée contre une personne soupçonnée de blanchiment en bande organisée et de travail dissimulé. Pour les besoins de cette enquête, un fonctionnaire de police a pris plusieurs photographies de l’individu sur la voie publique. Plus précisément, huit photographies ont été prises sur une période de quinze jours. En complément des photographies, un dispositif de géolocalisation téléphonique a été mis en place.
Après sa mise en examen, l’individu a demandé l’annulation de ces actes d’enquête devant le juge d’instruction et la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, aux motifs que d’une part, la captation d’image réalisée de manière systématique devait faire l’objet d’une autorisation par un magistrat comme le prévoit le Code de procédure pénale, et, d’autre part, que la prise d’images constituait une ingérence dans sa vie privée. La Chambre de l’instruction n’a pas fait droit à sa demande. Le mis en examen a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Dans sa décision, la Cour de cassation déclare que les prises d’images espacées, et le fait que les dispositifs de surveillance mis en place sur la place publique ne l’ont été que pour quelques heures, ne permet pas de qualifier ces prises d’images de permanentes et systématiques.
Les photographies prises par les enquêteurs sont considérées comme « des images de personnes déambulant sur la voie publique », et ne sont pas assimilables à de la vidéosurveillance. De ce fait, en l’absence de ces deux caractéristiques, la captation d’image ne constitue pas une ingérence dans la vie privée du demandeur et ne nécessitait pas une autorisation préalable d’un magistrat.
S’agissant de la géolocalisation téléphonique, la Cour de cassation relève que cette dernière avait un caractère différé et était limitée à ce qui était strictement justifié par la nécessité de l’enquête. De plus, cette mesure a été autorisée par le juge des libertés et de la détention. Ainsi, la Haute Juridiction ne considère pas que ces mesures ont porté atteinte à la vie privée du mis en examen.
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